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Le mystère d'Anna Anderson

Par Jacques Siclier

ANASTASIA. Grande-duchesse héritière de Nicolas II ou simple ouvrière polonaise? Réalisé par Anatole Litvak, ce film adapté d'une pièce pirandellienne de Marcelle Maurette, inspirée de la légende des Romanov, marqua le retour à Hollywood d'Ingrid Bergman, après son escapade rossellinienne.

Le Monde Télévision, Radio, Multimédia, Dimanche 12- Lundi 13 juillet 1998 page 7

Dans la nuit du 17 juillet 1918, sur ordre du gouvernement bolchevique, le tsar Nicolas II, son épouse la tsarine Alexandra, leur fils et leurs quatre filles furent fusillés par des gardes lettons, dans la cave de la maison Ipatiev à Ekaterinbourg, ville de l'Oural où ils étaient détenus prisonniers. En même temps qu'eux périrent leur médecin personnel et trois domestiques. Les corps furent jetés dans un puits de mine désaffecté près du village de Koptiaki, et détruits par le pétrole et l'acide sulfurique. Pourtant, au cours des années 20, des bruits coururent sur la survie d'une des grandes-duchesses.

Une seule des "prétendantes" à l'identité de la grande-duchesse Anastasia devait constituer une énigme pendant plus d'un demi-siècle: une femme repêchée par la police de Berlin le 17 février 1920, dans le canal de la Landwehr, et qui passa deux ans dans un asile d'aliénés, prostrée et presque muette, ne sortant de son amnésie que pour raconter comment elle avait été sauvée et les péripéties vécues par elle ensuite. On l'a connue sous le nom d'Anna Anderson. Certains émigrés russes reconnurent en elle la grande-duchesse Anastasia (héritière d'une fortune déposée par Nicolas II dans une banque d'Angleterre et destinée à ses enfants, c'était tentant). D'autres crièrent à l'imposture et s'acharnèrent à la faire passer pour une ouvrière polonaise disparue de chez elle en 1920.

Des querelles d'anthropologues et de graphologues, une série de procès, tous perdus, marquèrent la vie d'Anna Anderson, qui fut plusiers fois internée et se confina dans une retraite près de Stuttgart. Aujourd'hui, après l'ouverture des archives soviétiques, l'exhumation des restes des cadavres et l'examen des empreintes génétiques de l'ADN ont permis d'identifier les dépouilles des Romanov (cf. La Nuit d'Oural, l'assassinat des Romanov, de Pierre Lorrain, éditions Bartillat, 1996). Seul mystère non éclairci: qui était réellement celle qui se prit pour Anastasia?

Au début des années 50, la légende était vivace et troublante. En France, Marcelle Maurette, auteur dramatique spécialiste des héroïnes historiques et mythiques (Manon Lescaut, Marie Stuart, Mme Capet, la reine Christine), écrivit une "pièce-féérie," Anastasia, en fait un drame piradellien inspiré de l'histoire d'Anna Anderson. Jouée d'abord à New York et à Londres, cette pièce fut créée à Paris, au Théatre Antoine, le 8 novembre 1955, avec Juillette Greco dans le rôle-tître et Lucienne Bogaert dans celui de l'impératrice douairière. A Berlin, en 1937, trois exilés russes, dont un certain Bounine (Jean Le Poulain), avaient créé une société pour exploiter la crédulité des partisans des Romanov et mettre la main sur l'héritage. Une inconnue amnésique, façonnée par eux, jouait le rôle d'Anastasia, se prenait au jeu, convainquait de sa survie la vieille impératrice, sa grand-mère. Mais, réclamée comme sa compagne par un ouvrier venu d'URSS, elle partait avec celui-ci, qui l'avait "reconnue sans hésiter." Pour autant, on ne savait pas qui elle était.

Anastasia connut un succès triomphal dans le monde entier. La 20th Century Fox en avait acheté les droits. L'adaptation cinématographique de la pièce, réalisée par Anatole Litvak en 1956, fut un événement. Tout en conservant l'esprit de la pièce, le film transposa l'action en 1928, à Paris et à Copenhague, développa largement le rôle de Bounine (joué par Yul Brynner) et donna à l'aventure de la fausse Anastasia (Ingrid Bergman) une fin différente. Bounine, le pygmalion de l'inconnue amnésique, appelée ici Anna Koreff, était tombé amoureux de sa créture et réciproquement.

Considérée comme une "pécheresse" depuis sa liason avec Roberto Rossellini et son divorce de son mari suédois, proscrite d'Hollywood où elle avait été une star, Ingrid Bergman rentrait au bercail, une page de sa vie personnelle tournée. Pour son retour, la Fox fit revivre les fastes romanesques hollywoodiens: grands et luxueux décors, beaux costumes, nombreux figurants, cabaret russe à Paris, avec tsiganes et musique, opéra royal de Copenhague, château de l'impératrice douairière.

Metteur en scène chevronné, Anatole Litvak tira un parti très habile des plans larges en Cinémascope tout en préservant-- ce qu'on n'a pas été fichu, à l'époque, de reconnaître en France, où le film fut traité, par la plupart des critiques, comme un médiocre mélodrame-- le coeur même de ce drame pirandellien dans les rapports entre Bounine et Anna Koreff, entre Anna Koreff "devenue" Anastasia et l'impératrice douairière (interprétée par Helen Hayes). La rencontre des deux femmes longtemps attendue, est le sommet du film. Deux grandes actrices, face à face, s'incarnent admirablement en leurs personnages, affamées l'une comme l'autre de reconnaissance et d'identité.

C'est là, et dans les scènes où elles se trouvent ensemble, que l'on peut constater à quel point Ingrid Bergman avait assimilé les leçons de Roberto Rossellini. Son Anastasia, fausse ou vraie, vraie ou fausse, est avant tout une femme à la recherche d'elle-même, de ses racines, de son âme. L'avidité des associés, ou du prince Paul (Ivan Despy), le cousin d'Anastasia, pour les millions de l'héritage, celle qu'on appelle Anna Koreff ne saurait la partager. Il lui faut de l'amour, une vie à elle. L'interprétation d'Ingrid Bergman fut récompensée par un Oscar. Elle avait pourtant totalement dépouillé le mythe hollywoodien.

En 1956, en Allemagne, Falke Harnack avait tourné une Anastasia, la dernière fille du tsar avec Lilli Palmer et... Ivan Desny. Ce film n'a pas été distribué en France. En 1986, Marvin J. Chomsky a réalisé pour la télévision Anastasia, the Mystery of Anna, avec Amy Irving, Olivia de Havilland, Omar Sharif. Dernier avatar d'une légende qui n'a plus de raison d'être: Anastasia, le dessin animé de Don Bluth et Gary Oldman, sorti en France en février 1998, un délire d'imagination...

© 1998 Le Monde

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Last updated: March 10, 2011.
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